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Une modélisation économique de la vente indirecte de logiciels en mode B2B

Une question revient souvent dans nos conversations avec les éditeurs de logiciels: Comment se décompose le modèle économique de la revente de logiciels d’entreprise ? Voici une description de ce modèle, qui permet de mieux comprendre comment optimiser la structure du Go-To-Market des éditeurs.

Hypothèses

Nous vendons un logiciel dont le prix de liste est de 100€. Notre Go-To-Market s’appuie sur des forces de vente directes et indirectes : Nous disposons d’un réseau de partenaires revendeurs. Nous focalisons notre réseau de partenaires revendeurs sur la vente de nouvelles licences ; Nous n’aborderons donc pas ici la vente de renouvellement de licences ou de renouvellement de souscriptions.

Différents leviers sont utilisés pour stimuler l’activité des partenaires du canal de revente. Voyons quel est l’impact économique de chaque levier.

100€ : Prix liste ou prix catalogue de notre produit (MSRP en anglais, Manufacturer’s suggested retail price).

Vision simple du modèle économique

70€ : Le prix Net Vendeur, après la remise traditionnelle de 30 % pour un partenaire.

80€ :  Prix proposé par le partenaire au client après une prise de marge de 15 %. Le revendeur  utilisera le pourcentage de marge le plus élevé possible. Pour le client final, il s’agit d’une remise de 20 % sur le prix de vente conseillé (MSRP) ou prix catalogue.

Note : Un partenaire type VAR (Value Added Reseller, ou Revendeur à Valeur Ajoutée) tirera des revenus supplémentaires de cette vente en y ajoutant des services, plus ou moins élaborés et plus ou moins complexes selon la nature du logiciel vendu. Ces revenus supplémentaires peuvent s’établir entre 0,1 fois le prix de vente du produit (service d’installation du produit) et 2 à 3 fois le prix de la vente (Service de conseil et d’intégration). Les revenus supplémentaires provenant des services pourraient donc s’établir ici entre 8€ et 240€.

Il s’agit ici de la vision la plus simple du modèle économique du partenaire – ajoutons maintenant un peu de complexité.

Vision plus élaborée du modèle économique

L’enregistrement d’un accord de revente peut fournir de 10 à 15% de réduction supplémentaire sur le prix de catalogue. Un tel accord entérine la promesse d’efforts de mise sur le marché d’un produit spécifique – La remise initiale modifie ainsi le prix net pour le vendeur, et en conséquence le prix de vente au client final.

55€ : Le nouveau prix net pour le vendeur, après réduction de 15% supplémentaire sur la remise traditionnelle ; La remise totale pour le revendeur disposant d’un accord de revente s’établit donc à 30% + 15% = 45% sur le prix catalogue initial.

72€ – En augmentant sa marge à 30%, le partenaire pourra proposer le nouveau prix de vente à 72€ (55€ x 1,30). Le client bénéficiera donc dans ce cas d’une baisse supplémentaire du prix proposé, de 80€ à 72€, soit un avantage de 28% sur le prix catalogue au lieu de 20%.

S’ajoutent à ces montages structurels différentes sources de coûts supplémentaires que le fournisseur qui désire développer un canal de ventes indirectes doit assumer :

Des coûts supplémentaires qui visent à motiver le partenaire et orienter son comportement :

  • Les « SPIFs » ou « Special Incentive Funds » sont des incitations destinées à motiver les forces de vente du partenaire. Parfois de l’ordre de 1% du prix catalogue, les SPIFs sont alloués aux forces de vente du partenaire, en fonction d’objectifs plus ou moins contraignants, et sont en général appliqués à un produit ou une famille de produit et sur une période de temps déterminée, généralement très courte (de l’ordre d’un ou deux mois). Ainsi, sur une période donnée, chaque vente d’un produit déterminé donne lieu à un certain montant de prime, avec ou sans seuil. Imaginons ici un seuil de 300,000€ de ventes sur un certain délai, après lequel par exemple 3% de prime seront distribuées : Ici, 3€ supplémentaires par produit vendu à 100€ par tranche de 300,000€ de ventes.

  • Les « Rabais » sont des incitations de volumes de ventes destinés à rétribuer le partenaire si certains objectifs sont atteints, et sont calculés sur le montant net réalisé par le partenaire. De l’ordre de 3 à 5 % du montant net versé au fournisseur, ils dépendent de la réalisation par le partenaire d’objectifs financiers trimestriels convenus avec le fournisseur au cours du processus de planification des activités en début d’année. Ces montants ne sont versés qu’après l’atteinte d’objectifs ; Par exemple, pour un rabais de 5% qui dépend d’objectifs trimestriels, ce seront 3€ qui seront versés (5% de 72€) si les objectifs sont atteints.

  • Les « MDFs », ou « Marketing Developement Funds », sont des financements alloués par le fournisseur au partenaire pour des activités de marketing. Ces montants dépendent à la fois de la réalisation par le partenaire d’objectifs financiers trimestriels convenus avec le fournisseur au cours du processus de planification des activités au début de l’année, et du niveau de partenariat en question (Des qualificatifs comme « silver », « gold », platinum », sont communs dans l’industrie ; Ces qualificatifs sont alloués selon le montant des ventes effectuées sur l’exercice précédent et portent des avantages de plus en plus importants). Envisageons ici par exemple un montant de 3 % du montant net versé au fournisseur, en fonction de la réalisation de ses objectifs : 2€ dans notre cas (3% de 72€), qui seront alloués à des activités de marketing

Des coûts qui visent à résoudre ou atténuer les conflits entre canaux de vente :

Il arrive souvent que certains clients qui sont adressés indirectement (ie par les partenaires du fournisseur) puissent également être adressés directement par le fournisseur, c’est-à-dire avec ses propres de forces de vente directes. Dans ces cas, des conflits peuvent apparaître : Ce qui est signé et gagné par l’un manquera à l’autre, ce qui n’est pas neutre pour un vendeur qui perçoit des commissions.

 Il est donc nécessaire, pour que le programme de vente indirectes ne soit pas contreproductif, de neutraliser l’impact du canal de ventes sur les ventes directes. Plusieurs montages existent, le plus commun d’entre eux consistant à compenser les forces de vente directes lorsque le deal est signé par un partenaire s’il y a lieu de le compenser.

 Si l’on considère que le vendeur direct aurait pu vendre 20% plus cher au client que le prix concédé au partenaire (55€ dans notre cas), alors le vendeur direct peut considérer qu’il aurait vendu pour 66€ sont produit au client ; à 5% de commission, c’est une perte de 3€ de commissionnement (66€ x 3%).

Enfin, les coûts de l’organisation de gestion des partenaires

Les frais de gestion du canal de vente, de salaire et de commissionnement des gestionnaires des partenaires, les ressources d’avant-vente parfois mobilisées peuvent coûter environ 10% du montant net au vendeur, soit 6€ (55€ x 10%)

Au total

Le résumé de cette version du coût total de la vente par l’intermédiaire de partenaires de revente avec lequel un accord est conclu s’établit donc comme suit, pour un prix de liste de 100€ :

  • 55€ – Prix net au revendeur, après enregistrement de l’affaire
  • 47€ – Après le SPIF (3€), le rabais (3€) et le MDF (2€)
  • 38€ – Après la compensation des ventes directes (3€) et les couts de gestion du canal (6€)

Si aucun accord de revente n’est conclu, alors le flux de marges serait :

  • 70€ : Net pour le revendeur, qui ne bénéficiant pas d’un accord de revente ne bénéficie que de 30% de remise traditionnelle. Hors contrat de revente, ni SPIF, ni MDF, ni rabais ne peuvent s’appliquer
  • 63€ : Après les couts de l’organisation des partenaires (10% de 70€)
  • 59€ : Après compensation des forces de vente directe visant à éliminer les conflits de canaux de vente (5% de commissions sur 70€ augmentés de 20%)

L’impact d’un accord de revente sur les marges laissées aux partenaires et le coût des ventes est donc substantiel pour le fournisseur. Pour le fournisseur de logiciel, selon le modèle choisi, le revenu produit par le revendeur évolue entre 38€ et 59€, donc en moyenne 50€ : Le ratio des couts de vente indirectes s’établit donc entre 60% et 40%, 50% en moyenne.

Notons que ce chiffre est une moyenne, et que pour un éditeur particulier il dépendra de la structure du réseau de partenaires impliqués et des volumes d’affaires traités respectivement par les partenaires qui bénéficient d’un accord et les autres.

Optimiser la couverture des marchés

Les forces de vente des éditeurs sont en général plus chères que celles des revendeurs, et de ce fait celles-ci doivent se concentrer sur les comptes les plus importants afin d’en rentabiliser au mieux le coût. Les comptes directs doivent donc être sélectionnés de manière à ce qu’une couverture directe soit plus rentable qu’une couverture indirecte (dont le COSr, Cost Of Sales ratio, est d’environ 50% comme nous venons de le voir).

Le ratio moyen des couts de vente d’un éditeur doit donc être, pour ceux qui adressent des marchés murs, inférieur à 50%, sans quoi le modèle de segmentation et d’adressage des marchés est à revoir; Le ratio cible dépendra de la proportion des affaires faites en diret et en indirect, et dépendra en outre fortement du volume relatif des renouvellements de contrats, dont la rentabilité est en général forte.

La rentabilité d’un éditeur dépend donc beaucoup des montants des contrats de renouvellement à signer, et également d’une définition optimale de son Go-To-Market pour la capture de nouveaux contrats. L’optimum de ce GTM dépend quant à lui de la segmentation des marchés et des comptes qui seront adressés par les forces de vente directes ou indirectes selon la rentabilité de leur couverture – Le COSr est ainsi l’élément déterminant de ces choix, tel qu’exposé dans l’article que nous avions déjà écrit en 2022.